jeudi 13 mai 2010

Les expulsés du ballon rond...(B.1/ B.2)


REUTERS/FINBARR O'REILLY
Dans un ghetto noir du Cap. Selon Mme Rolnik, 20 000 personnes au moins auraient été déplacées au Cap à cause de la Coupe du monde de football.
Expulsées ou déplacées, les populations les plus pauvres font souvent les frais des opérations urbaines qui accompagnent la tenue de grands événements sportifs tels que les JO ou les Coupes du monde de football. L'universitaire brésilienne Raquel Rolnik a présenté un rapport sur ce sujet à l'ONU.




Par quels mécanismes la tenue des grands événements sportifs peut-elle agir sur les conditions de logement des populations locales ?

L'événement sportif sert de catalyseur pour des opérations de transformation urbaine. Mais il faut distinguer deux sortes d'impact pour le droit au logement. D'abord, un impact direct : le déplacement de populations pour construire des nouvelles installations sportives ou de nouveaux équipements. C'est particulièrement le cas dans les pays en développement, où cela affecte des communautés qui vivent dans des zones d'habitat informel. Les sans-abri et ceux qui travaillent dans la rue, y compris les travailleurs du sexe, sont aussi affectés directement, parce qu'ils font les frais des programmes d'embellissement des villes...

Et puis il y a les effets indirects, avec la hausse des prix de l'immobilier, qui excluent de facto certains groupes sociaux.

Pensez-vous qu'il peut y avoir une forme de préméditation de la part des pouvoirs publics, qui pourraient vouloir profiter de ces événements pour opérer de profondes mutations urbaines ?


Non, je ne pense pas. Le problème, c'est qu'on postule à l'organisation de ces événements sans prendre en compte la situation de ces populations. Et puis, quand le problème se pose, comme elles n'ont bien souvent pas de droits de propriété, c'est plus facile de les déplacer. Parfois, le déplacement est le bienvenu. Mais il y a des règlements internationaux qui prévoient les procédures qui doivent présider à ces déplacements : il faudrait que les populations affectées soient consultées et que leurs conditions de vie s'améliorent après.

Mais en général, soit les populations acceptent de se déplacer moyennant une faible compensation financière, soit on les reloge mais loin de la ville et des zones d'activité économique.

Quels moyens pourrait-on envisager pour éviter ces effets négatifs ?

Au Brésil, on dit "on doit faire du citron une limonade". Ça s'adapte bien à cette question. On doit utiliser ce genre de méga-événements sportifs pour améliorer la vie et les conditions de logement de ceux qui en ont le plus besoin. Les bâtiments construits pour des événements de cette sorte peuvent par exemple être convertis en logements sociaux ! Et cela s'est déjà vu [aux Jeux d'Athènes et de Moscou, par exemple]. Mais comme depuis les années 1990, ces projets associent en général le public et le privé, ils sont prévus pour être lucratifs et sont donc souvent prévus pour les couches supérieures de la société. Il faut inverser cette logique !

Les effets indirects aussi peuvent être maîtrisés par des outils de planification qui garantissent l'existence d'une mixité sociale. L'étape cruciale, c'est la planification avant de présenter la candidature. Avec les pouvoirs publics et toutes les populations affectées, mais aussi avec tous les sponsors, les entreprises associées...

Vous avez justement déploré le manque de coopération de la FIFA dans la défense du droit à un logement convenable...

Tout à fait. Les procédures adoptées par le Comité olympique sont beaucoup plus transparentes que celles de la FIFA (Fédération internationale de football association). La question du droit à un logement décent fait maintenant partie du questionnaire que doivent remplir les villes candidates à l'organisation des JO. Avec la FIFA, nous n'avons même pas pu aborder la question.

En tant que Brésilienne, que vous inspire l'organisation prochaine par votre pays de la Coupe du monde de football (2014) et des JO d'été (2016) ?

Pour moi, c'est un grand sujet d'inquiétude. Le Brésil a les moyens de bien faire, mais pour l'instant rien n'indique que le thème du droit au logement fait partie des préoccupations des autorités. Rien qu'à Rio, on compte que plus de trente communautés de favelas seront directement affectées par les installations prévues pour les JO. Mais pour l'instant, le gouvernement n'a pas éclairé ces communautés sur ce qui était prévu pour elles. Et on parle de communautés qui sont installées depuis plus de cinquante ans !

Votre "combat" ne souffre-t-il pas d'un manque de visibilité, et en particulier de la concurrence du thème très en vogue du développement durable ?

Bien sûr, l'impératif environnemental est de plus en plus présent dans les dossiers de candidature, mais cette question ne doit pas être dissociée des questions sociales. Par exemple, si on déplace une communauté informelle à coups de ce qu'on appelle, ici, au Brésil, des "chèques-évictions", ça ne suffit pas à se reloger. Alors les gens vont dans les zones à risques, menacées par les innondations ou les glissements de terrain. Ou alors ces populations sont déplacées à 40, 50, 60 km de la ville et cela ne fait qu'augmenter les déplacements... Ces deux questions sont donc réellement liées.