jeudi 13 mai 2010

"Les expulsés du Mondial-2010 m'ont dit qu'ils vivaient dans un camp de concentration" (B.2 / C.1)




Cela fait maintenant deux ans que les habitants du bidonville de Symphony Way, dans la banlieue du Cap, ont été expulsés de leur logement et parqués de force dans des baraquements en tôle ondulé. Le motif : le gouvernement ne veut pas que les touristes attendus pour la prochaine Coupe du monde voient des habitations de fortune à proximité du stade flambant neuf de Green Point.

Ces logements "temporaires", regroupés dans un camp connu sous le nom de "Blikkiesdorp", sont si insalubres que les autorités elles-mêmes n’osent pas les appeler des maisons. Ce sont des "structures".

Les règles dans le camp son strictes : interdiction de cuisiner à l’extérieur, de sortir du camp sans permission, couvre-feu à 22 heures. Interdiction aussi de bricoler quoi que ce soit pour améliorer les logements. Le camp rappelle étrangement le décor et les conditions de vie du film "District 9", qui se déroule en Afrique du Sud… A ceci près que ses occupants étaient des extraterrestres, et non des hommes.

Le gouvernement affirme que les résidents de Symphony Way ont été déplacés parce que leur logement étaient trop précaires, mais selon l’un de nos Observateurs, les conditions à Blikkiestorp sont, par certains aspects, bien pires que la vie dans les bidonvilles.
Contributeurs

garethkingdon
"C'est comme les 'dépotoirs de l'apartheid'. Les déplacés l'appellent le 'camp de concentration'"
Gareth Kingdon est un photographe anglais originaire de Cardiff (Pays de Galles). Il travaille sur les sujets liés aux expulsions sociales. Il a passé deux semaines dans le camp de Blikkiesdorp. Toutes les photos sont de lui, sauf indication contraire.


Environ 15 000 personnes vivent à Blikkiesdorp. Elles sont identifiées par des numéros et non par leur patronyme. L'individualité n'existe pas dans ces camps : les autorités détruisent systématiquement les ajouts ou changements que les habitants pourraient apporter à leur structure.



Les autorités ont refusé d'attribuer un code postal au camp – or un code postal est obligatoire pour obtenir un emploi en Afrique du Sud. Plus de 80 % des habitants du camp sont au chômage. Les autres font du stop chaque jour pour se rendre sur leur lieu de travail – souvent des marchés de rue près de leur ancien bidonville.



Il n'y a ni école ni clinique dans le camp. Entre cinq et sept personnes en moyenne habitent dans une baraque de 27m². Les sanitaires sont partagés : environ un pour quatre familles [dans certains blocs, il y a trois sanitaires pour 112 structures, ndlr].


Les conditions insalubres sont à l'origine de graves problèmes sanitaires : on respire la poussière du sol en terre à chaque inspiration, et les crises d'asthme sont monnaie courante. Le sida et la tuberculose se répandent. Les malaises liés à la chaleur sont le problème le plus fréquent. Durant l'été, les parois des structures sont si brûlantes qu'on ne peut pas les toucher à main nue. Il y a un seul infirmier dans tout le camp, et la pharmacie la plus proche est à 3 km de marche.



Le manque de nourriture est chronique, et les habitants ne disposent que d'un petit réchaud à gaz dans un coin de leur structure. Il est interdit de faire la cuisine à l’extérieur. La plupart des gens dépendent de l'aide alimentaire. Du pain est distribué gratuitement chaque jour, et le mercredi, des milliers de personnes font la queue pendant des heures pour un repas complet.


Cela rappelle les quartiers pauvres qu’on appelait les 'dépotoirs de l’apartheid'. Les occupants de Blikkiesdorp l'appellent 'camp de concentration'. Il n'y a aucune infrastructure moderne, et les équipements dégradés ne sont jamais réparés. Si jamais une personne est surprise hors de sa structure après 22 heures, elle est interrogée puis battue par la police.



Les résidents subissent ces conditions indignes à 20 km à peine du stade le plus cher du continent africain [444 millions d'euros]. Les enfants parlent toujours de 'l'après-Coupe du monde', mais je pense qu’ils seront encore ici dans 10, 20 ou 30 ans. Il y a 400 000 personnes en attente de logements sociaux dans la province du Cap Ouest, mais leur dossier sont en attente parce que tout l’argent de l'Etat est consacré à l'organisation de la Coupe du Monde.

A première vue, Blikkiesdorp peut sembler plus propre, plus ordonné qu'un bidonville. Mais quand on y vit et que l'on y subit l'oppression, l'anonymat forcé et la privation de liberté, on se dit qu'on préfère encore pouvoir faire sa propre cuisine à l'extérieur, sortir le soir, avoir un code postal, vivre quoi...