jeudi 13 mai 2010
Le sport a-t-il pu être sacrifié pour l’Histoire ? (B.1 / B.2)
Le récent film de Clint Eastwood, Invictus, retrace la victoire des Springboks lors de la Coupe du Monde 1995, qui a permis à tout un peuple de délivrer au monde entier un formidable message d’espoir d’une union retrouvée, trois ans après la libération de Nelson Mandela. Mais, au-delà des distances que prend le réalisateur sur le jeu et les règles du rugby, dans le petit monde de l’ovale, le film à surtout participé à relancer une vieille polémique sur la légitimité de la victoire des Sud-Africains.
Pierre Berbizier, alors selectionneur des Bleus, affirmait au lendemain de la défaite du XV de France: "Pour moi, le politique a pris le pas sur le sportif. Mandela avec le maillot des Boks, Pienaar le capitaine brandissant la coupe, tout ça avait été imaginé et il fallait que ça se passe comme ça". L’ancien demi de mêlée des Bleus ne voulait ainsi pas cautionner ce qui fut pour lui une grande fraude sportive. On peut penser que ces paroles sont celles d’un mauvais perdant. Mais lorsque l’on connait la droiture de l’homme, on ne peut que se poser des questions. Il est incontestable qu’il y a eu du favoritisme, sinon comment expliquer que l’arbitre de la demi-finale n’ait jamais sifflé d’essai de pénalité contre les Springboks qui effondrèrent 5 mêlée consécutives dans leurs cinq mètres, comment justifier l’essai refusé d’Abdelatif Benazzi ou encore celui injustement accordé aux Boks?
Mais la véritable question est de savoir s’il y a eu une vraie volonté politique de faire gagner l’Afrique du Sud au dépend des valeurs sportives car c’est ni plus ni moins ce qu’affirme aujourd’hui certains observateurs. L’intoxication alimentaire dont ont été victimes les All Blacks juste avant la finale, où ils ont été méconnaissables, est venue conforter la plausibilité de cette hypothèse. Une équipe néo-zélandaise impréssionnante comme jamais jusque là avec des succès 44-19 face à l’Irlande, 34-9 face au Pays de Galles et 145-17 face au Japon en matchs de poule! En quart de finale, l’Ecosse ne fit pas plus le poids, balayée 48-30 et que dire de l’Angleterre qui venait pourtant de réaliser le Grand Chelem dans le Tournoi, humiliée 45-29 en demi-finale avec 4 essais du seul Jonah Lomu, après avoir même été mené 36-3 à la pause.
La montre en or offerte par le président de la SARFU ( South African Rugby Union ) à Ed Morison, l’arbitre Anglais de la finale, n’était-ce ainsi qu’une simple maladresse? Reste que truquer une finale de Coupe du Monde pour une simple montre, fut-elle en or, semble peut crédible. Mais peut-on dire malgré tout que le film de Clint Eastwood est quelque peu révisionniste? Certes, le combat entrepris par Nelson Mandela pour réconcilier le peuple sud-africain, en misant sur un sacre des Springboks, était noble, et voir blancs et noirs se serrer dans les bras après tant d’années d’apartheid était symboliquement inestimable. Emile N’Tamack avait d’ailleurs déclaré quelques jours après la compétition: "si c’était à refaire, je sacrifierai notre capacité à nous hisser en finale pour que l’issue soit la même". Mais le doute reste permis sur la manière dont les Boks ont obtenu cette victoire.
Quoi qu’il en soit, pour l’Afrique du Sud, l’essentiel était ailleurs, retrouver une unité derrière son nouvel étendard. La victoire dans une Coupe du Monde de rugby semblait bien illusoire à côté de cela. Et pour ce qui est de la réconciliation entre Afrikaners, Malais du Cap, Zoulous et autres ethnies sud-africaines, si un pas a été franchi ce jour là, elle prendra bien des années pour être significative. Aujourd’hui encore, les enfants de Soweto préfèrent caresser le ballon rond en espérant devenir "Bafana Bafana" tandis que les jeunes blancs de Johannesburg rêvent davantage de revêtir la tenue des "Springboks"...